. De-plus, On attendrait donc jé n'en pour je n'en pis plus ou je n'entains ; j'té ou jé t' pour je te feray ; ty ne té souviens / té n'té souviens pour tu ne te souviens ; et [e?] pour les autres occurrences de je, comme ej sis « je suis », pour lequel on a ie sis Les accents ajoutés dans l'édition de 1773 (chés, méri, ché bon pendard, medéme) ne concernent pas ces contextes. La morphologie verbale, elle, appelle peu de commentaires : les traits les plus saillants de la conjugaison picarde apparaissent à des temps ou à des personnes qui ne sont pas utilisés dans le texte, comme le futur et le conditionnel des verbes en ?dre (vara « viendra »), le subjonctif en radical du présent + che (Qu'il vaiche « qu'il aille »), la quatrième personne de l'imparfait en ?oesme (os avoesme « nous avons », os parloeme « nous parlons »), les passés simples en ?i (j'entris « j'entrai », os allimes « nous allâmes », etc.). On ne note que deux formes remarquables : je sis « je suis » ; je n'en pis plus « je n'en puis plus ». Vaganay note cette réduction du [yi] à [i] comme régulière. Or, si pi pour puis est attendu dans le sens d'ensuite, et d'ailleurs non proprement picard, dans les textes du XVII e siècle il n'est pas attesté comme forme de pouvoir (toujours réalisé peu), non plus que sis pour suis : ce dernier y garde la forme pleine sui / suis, est pas rendue chez Molière, du moins dans la graphie : les suites de syllabes en) ou bien il est réduit mais à la forme su plutôt que) 17 . Le bilan morphologique est donc contrasté : Molière retient deux traits clairement picards en marque un troisième peu convaincant et fait l'impasse sur tout le reste tantôt beaucoup moins

. Quant-À-la-syntaxe, le moyen picard semble dénué des traits les plus frappants du picard actuel 18 et ses quelques particularités concernent des constructions absentes du texte de Molière. Celui-ci met un seul trait lexicosyntaxique dans la bouche de Nérine : le choix du marqueur négatif mie au lieu de pas : tu ne m'écaperas mie, Ne rougis-tu mie de dire ches mots là, Tu ne te sauveras mie de mes pattes. En picard, mie n'est plus aujourd'hui qu'une variante secondaire 19 , et son extension à cette époque est mal connue

P. Abbeville, Dagnac, « Les interrogatives picardes et le typage des questions en dialecte ternois, Actes del 26é Congrés de Lingüística i Filologia Romàniques, 1998.

A. Dagnac and «. , Pas', 'mie', 'point' et autres riens : de la négation en picard », dans M, La négation : études linguistiques, pragmatiques et didactiques, pp.129-151, 2015.

L. Minimalité-de-le-masque and . Fait-voir-comme-masque, La restriction de ce picard à quelques grands signes fonctionnant comme marqueurs d'altérité a également un rôle pratique : il se doit de faciliter la compréhension de Pourceaugnac, qui, Gascon à Paris, est peu susceptible de maîtriser la complexité des dialectes d'oïl, mais aussi celle des spectateurs, pour lesquels il est loin d'être assuré qu'un picard populaire authentique eût été transparent, notamment à l'oral ? le picard est probablement une des langues d'oïl qui diverge le plus du français central. Par ailleurs, même si, comme l'affirme Patrick Sauzet, l'intercompréhension oc-oïl était plus grande qu'on ne l'imagine aujourd'hui, l'occitan de Lucette n'est probablement pas compris de tous : le picard stylisé ou le français picardisé de Nérine, qui reprend en écho l'occitan de Lucette, fait intercession pour assurer la pleine compréhension de ce qui est en jeu. Ainsi, dans le texte de Nérine, on trouve plusieurs répliques adressées à Pourceaugnac ou au spectateur, qui sont des phrases clairement françaises, parfois à un détail mineur près : tu m'as bien fait courir (et non et/te m'os ben foait queurir), je boute empêchement au mariage ; bayez un peu l'insolainche ; je ferai bien voir que je sis ta femme (où le sis est plus franco-normand que picard) : les élémentsclés du scénario ne sont pas en picard, mais bien en français, fût-il très vaguement teinté d'étrangeté. Ce statut d'intercesseur du dialecte stylisé s'insère dans la dimension comique de la scène par un jeu subtil d'ambiguïtés, ingénieuse Nérine » est bien une Picarde de composition puisque les mots mêmes qui montrent du doigt l'altérité linguistique de Lucette sont eux-mêmes clairement marqués comme picards, dans trois dimensions : phonétique par le [C], morphologique par le che, lexico-syntaxique par le mie