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1Depuis le XIXe siècle, l’apprentissage français connaît une histoire particulièrement mouvementée ponctuée par des crises récurrentes qui ont favorisé le développement de la formation professionnelle en école. Alors qu’il était fortement disqualifié, il devient, à la suite des réformes de 1987 et de 1992, l’objet de toutes les attentions politiques comme patronales. Alors qu’il était traditionnellement chargé de former les futur·e·s ouvrières et ouvriers de la production et de l’artisanat, l’apprentissage s’ouvre à l’enseignement supérieur, aux grandes entreprises et élargit, essentiellement pour l’enseignement supérieur, son offre de formation au domaine des services [1]. Il se présente dorénavant comme une filière de formation à parité avec l’enseignement technologique et professionnel délivré en école, allant de la formation des ouvrières et ouvriers et des employé·e·s jusqu’à celle des ingénieur·e·s, en passant par celle des technicien·ne·s. Ce renouveau de l’apprentissage est le fruit d’un très large consensus : pour les instances politiques et patronales, l’apprentissage rénové permettrait simultanément d’accompagner le rallongement des scolarités, de répondre aux besoins des entreprises tout en favorisant, bien mieux que l’école, l’accès à l’emploi comme à l’égalité des chances. En effet, la création d’une filière complète de formation (du niveau V au niveau I), associée au versement d’un salaire, devrait permettre la promotion sociale des jeunesses populaires (Capdevielle et Kergoat, 2013).

2Cependant, ces transformations ne bouleversent pas, loin s’en faut, l’une des caractéristiques historiques de l’apprentissage français [2] : celui-ci rassemble encore et toujours un public essentiellement masculin, les apprenties étant quant à elles sous-représentées, cantonnées dans quelques spécialités de formation et confrontées à de plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail. Il faut donc se poser la question : pourquoi tant l’ouverture vers l’enseignement supérieur et les formations de service que la diffusion de campagnes de sensibilisation sur la mixité des formations et des métiers [3] n’ont-elles pas inversé ou du moins enrayé les processus de ségrégation sexuée ?

Système éducatif et formation professionnelle en France

En France, la formation professionnelle initiale se compose de deux ensembles Le premier concerne les élèves/étudiant·e·s (sous statut scolaire) formé·e·s en lycées professionnels ou technologiques (pour l’enseignement secondaire) voire en école, en institut universitaire technologique et à l’université (pou l’enseignement supérieur). Le second concerne la population que j’étudie, le apprenti·e·s (sous contrat de travail) qui alternent une formation chez un employeur et des enseignements dispensés dans un centre de formation d’apprenti·e·s (CFA). Ces derniers sont gérés par différents organismes : le entreprises, les chambres de commerce, de métiers ou d’agriculture, les établissements d’enseignement public ou privé sous contrat, les associations etc. Depuis la réforme de 1987 et de 1992 sur l’apprentissage, la grande majorité des diplômes de l’enseignement technologique et professionnel, du niveau V au niveau I, peut être préparée en apprentissage.
Les nomenclatures de niveaux de formation visent à mettre en relation la formation (niveau mesuré par le nombre d’années d’études) avec la qualification requise pour tenir un emploi :
tableau im1
Niveaux de formation Emplois VI Non diplômés Emplois non qualifiés V Certificat d’aptitude professionnelle Emplois d’ouvrier·ère·s (CAP), préparé en deux ans ou d’employé·e·s qualifié·e·s après la scolarité obligatoire IV Le baccalauréat professionnel Emplois d’ouvrier·ère·s (bac pro) préparé en trois ans ou d’employé·e·s hautement après la scolarité obligatoire qualifié·e·s III Les diplômes, dont la licence, Emplois de technicien·ne·s préparés en deux ou trois ans après le baccalauréat II Le master, cinq ans Emplois d’encadrement après le baccalauréat I Doctorat, diplômes d’ingénieur·e Emplois nécessitant la maîtrise des processus de conception ou de recherche.

3Pour expliquer la position occupée par les filles dans l’espace de la formation professionnelle, les rares travaux sociologiques sur la question mettent l’accent sur la meilleure réussite des filles, ainsi que sur la socialisation différentielle des sexes (Lemaire, 1996 ; Moreau, 2003 ; Palheta, 2012).

4D’une part, leurs performances et leurs aspirations scolaires permettraient d’éviter l’apprentissage et de privilégier la formation en école, le lycée professionnel offrant la possibilité de préparer des diplômes plus élevés et d’envisager, à plus ou moins brève échéance, une poursuite des études. D’autre part, et c’est sur cette seconde dimension que la littérature sociologique se focalise, la prédilection des filles pour les spécialités relevant du domaine des services – moins représentées en apprentissage qu’en lycées professionnels – expliquerait leur sous-représentation en apprentissage comme leur confinement dans des spécialités de formation très féminisées. La position des filles (et des garçons) dans l’espace de formation prendrait dès lors racine dans leurs choix d’orientation : « L’orientation est sexuée parce que filles et garçons ignorent en les évitant soigneusement les champs de savoirs et de compétences qui sont perçus comme convenant à l’autre sexe » (Vouillot, 2007 : 104). Et si la division sexuée des choix d’orientation scolaire et professionnelle s’avère d’autant plus remarquable dans le cadre des formations professionnelles, c’est parce que c’est au moment de l’adolescence – période où l’identité se doit d’être confirmée par le regard d’autrui – que les jeunes doivent élaborer leur projet.

5Que cela soit par surcroît de mobilisation scolaire (Terrail, 1992), par choix raisonnés et raisonnables (Duru-Bellat, 1990) ou par intériorisation d’un habitus de genre (Baudelot et Establet, 1992), les sociologues s’accordent à penser que les filles s’auto-éliminent du dispositif d’apprentissage et que c’est dans le choix des métiers qu’il faut en rechercher la cause (Palheta, 2012). La prévalence accordée aux « dispositions », aux « goûts », à la « vocation » ou encore aux « motivations » pour donner sens et forme à la division sexuée des filières et des spécialités de formation et par-delà à la division sexuelle du marché du travail est sans doute à mettre en relation avec l’évolution des recherches qui, depuis les années 1980, tendent, comme le suggèrent l’analyse et les perspectives développées par Marie Duru-Bellat (1994), à expliquer les structures par les comportements individuels.

6Mon propos sera différent. Je défendrai l’idée, avec Nicole Mosconi, que « ce n’est pas parce que les jeunes filles reçoivent une formation différente que le marché du travail est cloisonné, mais bien plutôt parce que le marché du travail est cloisonné que garçons et filles reçoivent une formation différente » (1983 : 45). Cette perspective permettra, dans un premier temps, d’expliquer la permanence des caractéristiques sexuées de l’apprentissage alors même que celui-ci a connu des transformations considérables. Dans un second temps, de démontrer qu’il ne s’agit pas tant d’expliquer les mécanismes subjectifs que d’analyser les mécanismes objectifs qui concourent, au sein du système éducatif comme sur le marché du travail, à exclure chaque sexe de certaines filières et à l’orienter préférentiellement vers d’autres. L’adoption de cette perspective mènera à caractériser les modalités d’accès à la formation ouvrière et employée et, plus largement, à revisiter les hypothèses produites par la sociologie de l’éducation quant à l’emprise et à la production des normes de genre en matière d’orientation scolaire et professionnelle.

7Dans le but de passer de l’autre côté du décor et de rendre compte de la configuration des inégalités comme de leur complexité, je me propose trois choses. Il s’agira tout d’abord d’avancer une analyse qui s’efforce de penser l’imbrication des rapports sociaux de sexe et de classe, démarche indispensable dans la mesure où les spécialités de formation dans lesquelles sont cantonnées les filles sont toutes aussi féminisées que populaires et que, de ce fait, l’emprise des normes de genre et des normes de classe interagissent, se renforcent et se coproduisent mutuellement (Kergoat D., 1978). Ensuite, et parce que l’apprentissage est situé au carrefour de l’éducation et du travail, j’accorderai une place centrale à la participation du marché du travail dans la (co)production des inégalités. Plus précisément, il s’agira de désenclaver l’apprentissage de l’école pour, dans le sillage des travaux de Lucie Tanguy (2005), prendre la mesure des relations d’interdépendance entre la sphère éducative et la sphère productive. Enfin, loin de nous focaliser exclusivement sur les filles, il s’agira d’intégrer le positionnement des garçons dans l’espace de formation non seulement parce que la division sexuée de l’orientation les impacte également mais aussi parce que l’analyse des formes de domination nécessite de penser les régimes de genre dans lesquels est encastré le système de relation entre les sexes.

8Ce sont ces trois niveaux d’analyse qui me permettront de repérer les mécanismes contribuant à la formation des rapports sociaux de sexe comme des catégorisations opérées par la division sociale et sexuelle du travail.

9Dans une première partie, je m’attacherai à démontrer que l’apprentissage n’est pas l’école et que, de ce fait, la référence exclusive à la sociologie de l’éducation conduit à occulter la complexité des mécanismes qui participent à la construction de la ségrégation sexuée comme à la production des inégalités.

10Dans une seconde partie, j’examinerai un aspect de l’apprentissage, très largement absent des quelques travaux existants : les pratiques de sélection des entreprises. L’examen de ces dernières me permettra de discuter du rôle de l’école et du travail dans la production du genre et de la classe, même si, en ce qui concerne cette dernière, je serai forcément plus rapide.

Quel dispositif d’enquête ?

Je m’appuierai sur des données du Ministère de l’éducation nationale et plus précisément de la Direction des études de la prospective et de la performance (DEPP). Celles-ci me permettront de caractériser la répartition sexuée des apprenti·e·s par spécialités et niveaux de formation. Par ailleurs, la possibilité de travailler sur la base de données [4] de la dernière Enquête Génération [5] (interrogation 2007) du Centre d’études et de recherche sur l’emploi et les qualifications (Céreq), m’a permis d’appréhender les caractéristiques sociales [6], les parcours de formation ainsi que l’insertion professionnelle des apprenti·e·s et des « scolaires » (élèves ou étudiant·e·s) soit, pour la population sélectionnée, 386000 individus, sur laquelle les comparaisons ont un sens mais qui ne représente que 52 % de l’ensemble des sortants de la génération 2007. En effet, les données du Céreq, comme de la DEPP, permettent de comparer d’une part les filles aux garçons et, d’autre part les apprenti·e·s aux scolaires préparant des spécialités de formation identiques [7].
Afin d’appréhender les pratiques de sélection des apprenti·e·s, je mobiliserai une monographie d’une grande entreprise publique (Kergoat P., 2011) à caractère industriel et commercial. Dans le cadre de cet article, je me focaliserai sur les processus de sélection à l’œuvre dans deux formations, l’une quasi exclusivement masculine préparant au métier d’électricien·ne et l’autre majoritairement féminine menant au métier de conseiller·ère clientèle. Les entretiens semi-directifs menés auprès de différents acteurs et actrices du dispositif ainsi que les observations in situ des situations de recrutement permettront, à partir de l’étude des dossiers, des entretiens et de la délibération des jurys, de caractériser les processus de hiérarchisation des candidat·e·s.

Désenclaver l’apprentissage de l’école

11Dire que l’enseignement professionnel est encore et toujours un objet méconnu relève de l’évidence. Il constitue en effet un parent pauvre de la sociologie alors même que la sociologie de l’éducation et la sociologie du genre [8] sont très prolixes sur la question de l’école [9]. Cette méconnaissance a plusieurs conséquences. La première est que l’absence d’un champ d’étude autonome pour penser la formation professionnelle a très largement contribué à ce que les chercheur·e·s empruntent leur cadre d’analyse à la sociologie de l’éducation en général et à la sociologie de la reproduction en particulier (telle que cette dernière s’est déployée en France à la suite des travaux de Pierre Bourdieu). Du coup, cette référence quasi exclusive à la sociologie de l’école, et dans une moindre mesure à la sociologie de la famille, contribue à occulter ce fait, pourtant décisif, que la formation professionnelle (et à plus forte raison l’apprentissage) est le segment du système éducatif le plus étroitement lié au monde du travail. La seconde raison, découlant pour partie de la première, est l’illusion d’homogénéité du public de l’enseignement professionnel (Palheta, 2012) : si quelques recherches, encore trop rares, sur les apprenties ont apporté des contributions précieuses [10], la majorité de celles portant sur la formation professionnelle ont pour point commun l’exclusion des filles de leur champ d’investigation. Or, cette invisibilisation contribue à ce que les sociologues reprennent des résultats sur les rapports au travail, à l’école, à la culture ouvrière, aux pratiques de résistance en leur attribuant trop rapidement un caractère universel (Grignon, 1971 ; Pialoux et Beaud, 1999 ; Willis, 1977). Bref, l’apprentissage, comme tant d’autres phénomènes sociaux en France, et après quarante ans de féminisme, continue à être pensé au neutre.

12Mais avant tout, sans doute faut-il déconstruire l’idée selon laquelle la mixité, au sein du système éducatif, serait acquise. En fait, filles et garçons évoluent dans des univers séparés. De ce fait, l’apprentissage ne peut être pensé à l’identique des lycées généraux ni, dans une moindre mesure, des lycées technologiques et professionnels. Puis, en examinant tant l’offre de formation que l’insertion professionnelle, je montrerai que la ségrégation ne peut être réduite aux seuls choix des apprenti·e·s.

Une ségrégation à géométrie variable

13Si la mixité n’est pas l’égalité, il faut bien admettre cependant que la confrontation des sexes est une expérience sociale importante (Fortino, 2002). Or, de celle-ci, la majorité des apprenti·e·s est exclue : filles et garçons, apprenti·e·s, « n’y occupent ni les mêmes places, ni les mêmes espaces et ne connaissent pas les mêmes destins » (Moreau, 2003 :127). C’est qu’elles et ils sont confronté·e·s à des mécanismes de ségrégation sexuée qui s’exercent à différents niveaux : non seulement les filles sont minoritaires et cantonnées dans quelques spécialités de formation mais elles préparent des métiers différents de ceux des garçons, sur des lieux séparés, et connaissent des situations professionnelles spécifiques.

14Contrairement aux lycées généraux et technologiques et, dans une moindre mesure, aux lycées professionnels, la mixité quantitative est loin d’être acquise. Au nombre de 134 284 en 2011, les filles représentent 31,5 % du public apprenti (DEPP, 2012). Ce taux de féminisation est le maximum jamais atteint même si, dans les faits, il n’évolue guère depuis maintenant quarante ans puisqu’il avait déjà atteint un record historique, en 1992, avec 30,5 % de filles (DEPP, 1993) ! Reste qu’il s’agit ici de moyennes qui tendent à écraser les disparités de situation et à surestimer la mixité, telle qu’elle s’exerce en situation d’apprentissage. En effet, non seulement les filles sont enfermées dans une offre de formation plus réduite que celle des garçons [11], mais filles et garçons ne préparent pas les mêmes spécialités. À l’exception de quelques spécialités mixtes (commerce, hôtellerie-restauration), l’examen des taux de féminisation au sein des spécialités de formation les plus préparées en apprentissage montre combien la ségrégation est prégnante : au niveau IV, ce taux est de 97,5 % pour la coiffure et l’esthétique, 2 % pour l’électricité-électronique, 0 % pour le bâtiment (Enquête Génération de 2004). Ajoutons que les « effets de nomenclature » tendent encore à surestimer le mélange des sexes (Moreau, 1995), puisque, à l’intérieur d’une même spécialité (le bâtiment par exemple), filles et garçons sont amené·e·s à préparer des métiers différents (la finition pour les filles et le gros œuvre pour les garçons). Soulignons enfin qu’il n’y a pas de coprésence effective puisque le jeu des spécialités et des secteurs conduisent filles et garçons à se former au sein d’établissements (des CFA, des entreprises) séparés.

15On retrouve ici les ghettos féminins. Reste que réduire cette ségrégation sexuée à la seule résultante d’une socialisation sexuée et de surcroît à l’élaboration de projets professionnels genrés aplatit considérablement l’analyse. C’est ce que permet de démontrer la comparaison entre les deux dispositifs de formation que sont, en France, les lycées professionnels (accueillant des élèves) et l’apprentissage (accueillant des apprenti·e·s).

16En effet, dans la littérature sociologique, c’est la prédilection des filles pour les formations relevant des services (moins représentées en apprentissage qu’en lycées professionnels) qui explique leur éviction du dispositif d’apprentissage. Cependant, afin de confirmer cette hypothèse, il faudrait démontrer, a contrario, que les filles qui choisissent une formation relevant de la production (cette fois-ci plus représentée en apprentissage) sont plus souvent apprenties qu’élèves de lycées professionnels. Or, il n’en est rien (cf. Tableau 1) : les filles privilégiant le domaine de la production (niveau V) sont incontestablement moins représentées en apprentissage (8,5 %) qu’en lycées professionnels (20 %).

Tableau 1

Écarts constatés entre modes de formation dans le domaine de la production

Tableau 1
Apprentissage Lycées professionnels Diplômes Garçons Filles Écart Garçons Filles Écart préparés (en%) (en%) (en points (en%) (en%) (en points de%) de%) Niveau V 91,5 8,5 83 80,0 20,0 60 Niveau IV 92,5 7,5 85 89,0 11,0 78

Écarts constatés entre modes de formation dans le domaine de la production

Source : DEPP, 2012.

17Si tous modes de formation confondus, les filles accèdent plus difficilement aux spécialités relevant de la production que les garçons, l’écart constaté est plus prononcé dans le cas de l’apprentissage : indéniablement, ce dernier renforce les effets de la division sexuelle du travail. On pourrait cependant espérer que la ségrégation ait tendance à diminuer avec l’élévation des niveaux de formation. Qu’en est-il ?

Quand les inégalités de formation ne sont pas les inégalités scolaires

18Reprenons la proposition selon laquelle les filles se détourneraient de l’apprentissage parce qu’elles privilégient les formations relevant des services et aspirent à des niveaux de formation plus élevés compte tenu de leurs performances scolaires. Du coup on devrait, mécaniquement, les retrouver dans l’enseignement supérieur, là où il existe un large éventail de formations relevant des services. Or, cette hypothèse n’est que très partiellement vérifiée.

19Certes la présence des filles augmente avec le niveau de formation mais l’effectif des apprenti·e·s relevant des domaines des services connaît une croissance beaucoup plus rapide que le taux de féminisation. En ce sens, l’augmentation de l’offre dans les domaines des services bénéficie davantage aux garçons qu’aux filles. De même que l’augmentation du taux de féminisation n’entame pas ou peu la ségrégation sexuée des formations. Si on examine une spécialité présente à tous les niveaux de formation (du niveau V au niveau I) « mécanique, électricité, électronique », on observe que malgré l’élévation du niveau de formation, les femmes y restent très minoritaires (1 % pour le niveau V et 9% pour le niveau I – DEPP, 2012).

20Non seulement les formations, quel que soit leur niveau, ne sont pas mixtes, mais les apprenties, ce qui les distingue encore une fois des scolaires, ont de plus grandes difficultés à poursuivre une formation : la filière apprentissage (du niveau V au niveau I) qui devait, pour ses promoteurs, permettre aux apprenti·e·s du « bas » de s’élever au sein de la hiérarchie des diplômes et au-delà d’accéder à une promotion sociale, s’avère être un mythe. Si, déjà pour les garçons, les possibilités de promotion par le biais de cette dite filière sont sujettes à caution, ce n’est plus du tout le cas pour les filles : parler pour elles de « promotion sociale » est une contre-vérité. La sélection opérée en apprentissage n’entretient que peu de caractéristiques communes avec la sélection opérée à l’école [12]. En effet, l’offre de formation rend aléatoire tout projet de poursuite d’études au sein d’une même spécialité : seuls le commerce, l’électrotechnique ou la mécanique offrent une filière complète de formation allant du niveau V au niveau I. L’offre en matière d’apprentissage calque la division sociale et sexuelle du travail. Le bac professionnel (niveau IV) dessine une frontière au sein même de l’apprentissage renvoyant à un ordre implicite : plus le niveau est élevé, plus les formations aux métiers dits manuels, aux spécialités de la production tendent à disparaître. Ce phénomène est encore plus remarquable pour les formations fortement féminisées : les spécialités dans lesquelles les filles sont confinées (la coiffure par exemple) n’offrent pas de débouché au sein de l’enseignement supérieur. L’apprentissage féminin est confronté à un plafond de verre plus étanche que l’apprentissage masculin : seuls 12% des apprenti·e·s du supérieur ont pu s’élever au sein de la hiérarchie des diplômes par cette voie et les garçons sont environ 1,5 fois plus concernés par cette possibilité de promotion que ne le sont les filles [13]. En ce sens, la division sociale et sexuelle du travail ne prend pas les mêmes formes et n’a pas les mêmes effets en apprentissage que dans les formations « scolaires ».

21L’analyse des formes opérées par la ségrégation sexuée montre que, bien plus que la spécialité ou le niveau de formation, c’est le sexe qui s’avère déterminant pour appréhender la position occupée, par les filles et par les garçons, dans l’espace des filières de formation professionnelles. C’est ce que confirme l’examen des destinées professionnelles.

Se conformer aux normes de genre : une nécessité pour s’insérer sur le marché du travail ?

22La prétendue « performance » de l’apprentissage en matière d’insertion professionnelle tient pour beaucoup à l’éviction des filles, comme à celle des jeunes issu·e·s de l’immigration : en reléguant aux lycées professionnels les populations les plus fragilisées face à l’emploi, on améliore mécaniquement les taux d’insertion (P. Kergoat, 2010 ; Arrighi, 2013). Trois ans après leur sortie de formation, les garçons sont 84,5 % à être en emploi contre 79,5 % des filles, de même qu’elles sont plus exposées aux CDD et au travail à temps partiel [14]. Et si l’écart se réduit quand le niveau monte (4 points séparent les filles et les garçons apprenti·e·s titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur), son amplitude, quant au diplôme emblématique de la formation ouvrière, donne le vertige : 15 points séparent garçons et filles titulaires d’un Certificat d’aptitude professionnelle (Enquête Génération de 2007) ! Et c’est le secteur de l’industrie qui s’avère, c’est le moins que l’on puisse dire, le plus désavantageux pour les filles, puisque 20 points les séparent des garçons (68 % contre 88,5 %).

23Peut-on expliquer la plus grande présence des filles au sein des formations scolarisées par l’avantage que ces dernières procureraient en matière d’insertion professionnelle ? Qu’en est-il dans les faits ? S’il n’est pas facile de répondre à cette question, la comparaison entre scolaires et apprenti·e·s, titulaires d’une même spécialité de formation, permet toutefois d’éclairer le débat.

24Les apprenties s’insèrent mieux que leurs homologues « scolaires » préparant des spécialités identiques : les premières (niveaux V et IV confondus) sont 79,5 % à être en emploi contre 75,5 % des secondes. Cet avantage doit être cependant relativisé au regard des taux de chômage comparables des deux populations (14 %), renvoyant au fait que les « scolaires » poursuivent ou reprennent plus souvent une formation que les apprenties (Enquête Génération de 2007). Les apprenties connaissent cependant un avantage non seulement par rapport aux filles mais aussi par rapport aux garçons (scolaires et, dans une moindre mesure, apprentis) dans un seul cas, révélateur, quand elles ont obtenu un diplôme de niveau V relevant du domaine des services.

25Le statut des minorités en apprentissage (apprenties en industrie et apprentis au sein du tertiaire) est plus difficile à appréhender, l’effectif n’étant pas ici représentatif [15]. Cependant, la tendance confirme l’idée selon laquelle les disparités professionnelles se maintiennent aussi parmi celles et ceux qui inversent les habitudes d’orientations scolaires (Couppié et Epiphane, 2001). Nos données sur l’insertion professionnelle des élèves de lycées professionnels (cf. Tableau 2) recoupent celles de Clotilde Lemarchand (2007) : les filles qui ont obtenu un diplôme relevant du domaine de la production sont désavantagées par rapport aux garçons (78 % d’insertion dans l’emploi vs 87,5 %), mais avantagées si on les compare, cette fois-ci, aux filles diplômées d’une formation relevant des services (78 % vs 70 %). Ce n’est toutefois pas le cas pour les apprenties : non seulement celles qui se sont aventurées dans des formations relevant de la production accèdent plus difficilement à l’emploi que les garçons (71 % vs 91,5 %), mais elles rencontrent également plus de difficultés que les filles apprenties issues d’une formation relevant des spécialités « féminines » (71 % vs 92,5 %). À l’instar des filles, le même constat peut être fait pour les garçons apprentis issus d’une formation tertiaire.

Tableau 2

Situation comparée des apprenti·e·s et des élèves de niveau IV en fonction de la spécialité de formation (en %)*

Tableau 2
Niveau IV Mode de formation Sexe Emploi Chômage Inactivité Poursuite de formation Tertiaire Apprenti·e·s Filles 92,5 5,0 1,25 0,0 Garçons* 79,0 21,0 0,00 0,0 Élèves Filles 70,0 15,5 3,00 3,0 Garçons 76,0 14,5 3,00 0,5 Industrie Apprenti·e·s Filles* 71,0 18,5 10,50 0,0 Garçons 91,5 6,0 2,00 0,0 Élèves Filles 78,0 18,5 0,00 0,0 Garçons 87,5 8,5 1,50 1,5

Situation comparée des apprenti·e·s et des élèves de niveau IV en fonction de la spécialité de formation (en %)*

* Effectifs insuffisants pour valider les données.
Source : Enquête Génération, 2007

26De manière générale, l’apprentissage des filles est objet d’une double disqualification parce que féminin et parce que populaire [16] : pour les niveaux V et IV, les filles sont 62,5 % à avoir un père ouvrier ou employé (73,5 % ont une mère employée ou ouvrière), contre respectivement 57,5 % et 74 % des garçons (Enquête Génération de 2007). D’où un effet de cumul au niveau de la domination, les filles étant simultanément prises dans des rapports de classe et des rapports sociaux de sexe. Reste que l’apprentissage peut s’avérer rentable (en matière d’insertion professionnelle) si, et seulement si, c’est du moins l’hypothèse que je défends, les apprenties se conforment aux normes de genre[17].

27Il faut encore expliquer pourquoi les configurations observées en apprentissage sont systématiquement différentes de celles des lycées généraux et dans une moindre mesure, des lycées professionnels et technologiques. C’est en ce sens que nous mettrons en évidence la participation des entreprises quant à la production d’un espace de formation sexuellement ségrégué et régi par des normes de genre et de classe particulièrement contraignantes. Enfin, pour appréhender la complexité des mécanismes observés et les caractériser, il s’agira de faire travailler l’imbrication des rapports sociaux de sexe et de classe.

Quand la sélection implique de devoir se conformer aux normes de genre et de s’affranchir de sa classe

28La caractéristique centrale qui distingue l’apprentissage de la formation en école est que les jeunes qui l’empruntent ont un statut de salarié·e qui les place d’abord sous la responsabilité d’un employeur qui décide de les recruter et de leur verser un salaire. C’est bien pour cette raison que l’analyse ne peut, à mon sens, se limiter à la seule convocation des théories propres à la sociologie de l’éducation. Or, la sélection à l’entrée du dispositif d’apprentissage est un angle mort de la sociologie de l’enseignement professionnel [18]. En effet, aucune donnée statistique ne permet de connaître le nombre de jeunes qui, n’ayant pu trouver d’employeur, se rabattent sur les formations professionnelles scolarisées. Moreau (2003) et Capdevielle-Mougnibas (2010) montrent que le cantonnement des filles dans un nombre limité de métiers génère une sursélection des filles et a contrario une sous-sélection des garçons : elles connaissent plus de difficultés à trouver une entreprise d’accueil (elles sont deux fois plus nombreuses à avoir dû contacter cinq entreprises pour trouver un maître d’apprentissage) et celles qui y parviennent ont un niveau scolaire plus élevé que les garçons (elles sont plus souvent issues de la troisième générale et ont moins souvent redoublé). Ces différents processus de hiérarchisation soulignent la nécessité d’observer les pratiques concrètes des employeurs en matière de recrutement. C’est ce que je me propose de faire à partir d’une monographie d’une grande entreprise publique qui, dans le cadre d’une politique de prérecrutement de ses futur·e·s salarié·e·s, recrute et prépare des apprenti·e·s à un diplôme de niveau IV, le bac pro services menant à l’activité de conseiller·ère clientèle (pour la promotion observée : 125 filles pour 60 garçons) et à un diplôme d’électrotechnique (niveau V) menant à l’activité d’électricien·ne (2 filles pour 59 garçons).

29La sélection opérée, sur dossier, tests puis entretiens auprès d’un jury d’entreprise, est importante. Elle avoisine, du moins à un niveau quantitatif, celle des grandes Écoles puisque sur 655 candidat·e·s, 26 seront finalement retenu·e·s (soit un taux de sélection de 4 %). Interrogé·e·s sur la répartition sexuée des métiers, les représentant·e·s de la direction des ressources humaines comme le directeur du Centre de formation d’apprenti·e·s d’entreprise en rejettent la responsabilité sur les choix des candidates (la prédilection des filles pour les métiers des services) ainsi que sur l’école (qui contribuerait, par le biais des processus d’orientation, à renforcer la socialisation différentielle des sexes). Or, nos entretiens et nos observations relativisent fortement ces propos.

Une focalisation sur les qualités sociales des candidat·e·s à l’apprentissage

30Pour les candidat·e·s souhaitant préparer un BEP électrotechnique, les recruteurs tentent d’appréhender des savoirs : « Pouvez-vous me dire combien font 97 × 3 ? » Pour les candidat·e·s au bac pro services, non seulement l’entretien est plus court, mais les jurys se focalisent sur les qualités relationnelles : « Lesquelles de tes qualités te semblent pouvoir être mises au service de la clientèle ? » Les seules questions concernant des connaissances portent sur la maîtrise du logiciel Excel. Ce décalage observé dans la conduite des entretiens de recrutement renvoie à la séparation opérée entre d’un côté des qualités féminines (qui seraient innées et non acquises) et de l’autre des qualités masculines (qui seraient construites et acquises) [19] :

31

On est plus exigeant pour le recrutement d’un technicien car l’on recherche des qualités intellectuelles, un potentiel pour les BEP, voire des acquis théoriques et pratiques pour les bacs pro techniques, alors que pour les services nous nous appuyons uniquement sur la personnalité et le savoir-être du candidat (…). Je ne pense pas qu’une formation permette d’apprendre la psychologie et le contact. On peut s’améliorer, mais si on n’a pas un minimum de facilités naturelles, on ne peut pas être efficace.
(homme, DRH)

32Si les qualités sociales, légitimées au nom du « savoir-être » [20], sont examinées dans le cadre des deux dispositifs de recrutement, il ne s’agit pas de « mesurer » les mêmes dimensions. Dans le cadre de la formation à l’activité de conseiller·ère clientèle, il s’agit d’observer « la personnalité », le comportement du ou de la candidate dans son rapport au corps et à autrui, soit une « hexis corporelle » pour reprendre le concept de Bourdieu (1979) : le maintien, la tenue, l’élocution, l’affabilité sont des qualités très recherchées. Les commentaires échangés et les fiches d’évaluation remplies par les jurys sont particulièrement révélateurs de l’importance accordée aux dispositions de genre comme de classe. Les candidates doivent tenir leur statut d’exécutante (le tailleur n’est pas adapté mais le port de la jupe est valorisé), tout en prenant leur distance avec l’habitus populaire tel qu’il s’incarne dans la jeunesse féminisée des périphéries urbaines (la tenue doit être propre et repassée, le vernis fluo ou les chaussures à semelles compensées doivent être évités, etc.).

33Ces dimensions sont aussi présentes lors du recrutement des candidats souhaitant préparer une formation en électrotechnique, mais l’objectif est ici d’évaluer leur « motivation » (toujours selon les jurys) ou plutôt de s’assurer de l’absence de toute « culture coopérative » (Verret, 1988). Il s’agit d’examiner le rapport à la hiérarchie, au travail et à l’entreprise : « Pourriez-vous me dire ce que vous pensez des fonctionnaires qui font grève ? », « Quelles sont les qualités d’un bon ouvrier ? ». Pour les jurys, l’objectif est principalement de vérifier que les aspirations ne sont pas orientées vers les perspectives d’un travail stable, d’une progression de carrière rapide ou d’un emploi à statut. Bref, de s’assurer de la docilité des candidats face au système productif en s’assurant (devant la chercheuse !) que le père du candidat (ouvrier dans l’entreprise) n’est pas syndiqué.

34Bien que sur des modes différents, il s’agit – dans le cadre de ces deux formations – de « rompre avec la culture antérieure » (celle du service public), de « désouvriériser », selon le terme de Michel Pialoux et Stéphane Beaud (1999).

Le paradoxe de l’apprentissage féminin

35Les processus de sélection reposent davantage sur le sexe des candidat·e·s que sur la nature des formations suivies comme des métiers préparés. En effet, pour recruter les garçons postulant sur le BEP électrotechnique, les jurys tentent de repérer « un potentiel technique » à travers les « expériences » des candidats : « Bricolez-vous avec votre père le dimanche ? », « Avez-vous une mobylette ? ». L’acquisition de telles expériences, dont les filles seraient bien évidemment dépourvues, suffisent à rassurer les jurys sur les capacités des garçons à développer les compétences requises par l’entreprise. Cela s’avère beaucoup plus complexe pour les filles. Celles-ci doivent démontrer non seulement leurs capacités à s’insérer dans un milieu masculin mais aussi faire preuve d’une première qualification professionnelle.

36Les questions d’un chef d’équipe, membre du jury, lors d’une observation sont sans détour : « C’est un métier où ce sont des hommes, il y a des blagues pas toujours très fines sur les femmes, comment vous réagissez quand on vous chahute un peu ? » Candidate : (souriante) « On essaie de le prendre bien, j’accepte les plaisanteries. » Homme, DRH : « Ce sera déjà un avantage si vous savez le prendre avec le sourire. »

37Les deux uniques filles de la promotion doivent d’une part démontrer leur capacité à supporter les blagues machistes de leurs futurs collègues et d’autre part certifier d’une qualification très étroitement liée au diplôme et à l’activité préparée : un diplôme (elles ont déjà obtenu un CAP ou un BEP en électrotechnique), une expérience professionnelle (un stage dans l’entre prise) et si comme cela ne suffisait pas, pour Tania, l’une des deux candidates, la première place au test d’aptitude. Peut-être, encore plus étonnant, les filles postulant sur le bac pro services connaissent des modalités de sélection très proches. L’examen de 88 dossiers de candidatures d’apprenti·e·s retenues confirme que la totalité des filles sélectionnées sur l’une ou l’autre filière de formation (technique ou services), avaient acquis un diplôme dans une même spécialité. Inversement, la totalité des garçons sélectionnés sortaient d’une formation générale ou avaient obtenu un diplôme dans une autre spécialité de formation. Alors que les filles doivent démontrer leur capacité par un diplôme précédemment acquis, les garçons doivent démontrer leur « potentiel » en mettant en avant leur « expérience » ou leur polyvalence ouvrant, dans ce dernier cas, à des promotions bien plus rapides au sein de l’entreprise [21]. L’examen des pratiques de sélection conduit à mettre en lumière le paradoxe suivant : alors que ce sont les savoirs dits féminins, qui sont de fait naturalisés et non reconnus comme des savoirs acquis, ce sont cependant les filles qui doivent faire preuve de la qualification acquise par un diplôme, voire une expérience professionnelle de la même spécialité et/ou du même métier. Non seulement elles doivent faire preuve de leur qualification mais elles doivent le faire en amont, avant même d’entrer en formation. Les jeunes hommes devant, inversement, démontrer leurs capacités à atteindre, en aval, grâce à la formation, la qualification requise par l’entreprise.

38Ce paradoxe permet dès lors d’expliquer non seulement le cantonnement des filles dans les filières relevant du tertiaire mais aussi la sursélection dont elles font l’objet pour entrer en apprentissage. Plus largement, l’analyse montre combien les entreprises utilisatrices d’apprentissages sont de véritables « fabriques de genre » (Lamamra, 2011). Les pratiques examinées révèlent que la sphère productive est partie prenante quant à la formation des rapports sociaux. Rapports sociaux de sexe et de classe qui, se soutenant et se renforçant mutuellement (Kergoat D., 1978), exercent une contrainte notable qui infléchit sensiblement les modes de socialisation tant des garçons que des filles, même si la pression sociale sur ces dernières est plus importante [22].

39Il demeure que si les apprenties doivent « céder », se conformer, ne serait-ce que pour obtenir un emploi, cela ne signifie aucunement qu’elles « consentent » (Mathieu, 1985). Les apprenties ne sont dupes ni des postures qu’elles doivent adopter, ni de la nature des questions qui leur sont posées : « Pour une fille moi je crois que j’ai eu droit à des questions que les gars ils n’ont pas eues » (Tania, parents restaurateurs). En effet, si l’on sort du seul lieu de l’école pour aller voir du côté du travail, l’examen des situations de recrutement comme des pratiques déployées en situation de travail montre que les apprenti·e·s manifestent des formes de résistance genrées et développent une capacité d’agir autonome, tant individuelle que collective (Kergoat P., 2006). Si affirmer que les rôles assignés à l’un et à l’autre sexe ne sont pas intériorisés serait une contre-vérité, dire que les filles sont dans l’incapacité, dans certaines situations, de les déconstruire, voire d’en jouer, pour tenter de déjouer ou de mettre à distance les rapports de domination serait par trop hâtif.

Une conclusion provisoire

40Cet article est une invitation à déplacer le regard et, au-delà, à (re)problématiser la question du positionnement des filles et des garçons dans un espace particulier, celui de la formation professionnelle.

41L’entrée par le genre permet de mettre au jour les tensions propres à ce domaine, les processus de ségrégation qui conduisent à constituer des espaces séparés où filles et garçons n’ont ni les mêmes places, ni les mêmes possibilités de promotion sociale, ni encore les mêmes destinées professionnelles. Ce qui amène à relativiser l’idée qu’au sein du système éducatif français la mixité serait acquise et à prendre ses distances quant aux dites performances de l’apprentissage tant en matière d’insertion professionnelle que d’égalité des chances.

42Reste que pour appréhender l’espace de formation professionnelle, et plus précisément ici de l’apprentissage, il faut également intégrer à l’analyse les chaînes de relations entre sphère productive et sphère éducative. Cette perspective conduit à contester l’affirmation selon laquelle la position des filles (et des garçons), dans cet espace de formation, ne serait que la résultante d’une socialisation sexuée, de choix d’orientation et de l’offre de formation. A contrario, cela démontre la nécessité d’une analyse en termes de division sexuelle du travail.

43L’examen des modalités d’entrée en formation montre combien le marché du travail contribue à définir le champ des possibles et que c’est bien plus le sexe que le genre qui détermine tant l’accès à ce mode de formation que les possibilités d’insertion professionnelle et de promotion sociale : l’orientation est bien plus déterminée par le marché du travail qui distribue les individus en fonction de leur sexe (supposé) que par des choix individuels qui seraient eux-mêmes la résultante de socialisations genrées. Le marché du travail ne se contente pas d’enregistrer et de reproduire les inégalités engendrées par la famille ou l’école [23], il est au premier plan quant à la constitution des ghettos féminins, de la sexuation des qualifications et des compétences comme des plafonds de verre. L’examen des chaînes des relations offre ainsi l’occasion de mettre à l’épreuve une proposition portée par toute une tradition française tant étatique que managériale ou universitaire, qui tend à faire de l’école la principale responsable des inégalités sexuées dans le travail et dans l’emploi. L’école contribue bien évidemment à la production des inégalités mais, et c’est du moins l’hypothèse que je défends ici, le marché du travail y contribue en amont. Prendre au sérieux la proposition selon laquelle le marché du travail participe à la formation des rapports sociaux de sexe, de classe (comme de race) implique non seulement de désenclaver les recherches sur l’apprentissage (et sur la formation professionnelle) de l’école mais aussi, plus largement, d’intégrer la sphère productive à l’analyse des inégalités scolaires.

44Reste que pour appréhender les contraintes ou les pressions sociales auxquelles sont confrontés les deux sexes, il s’avère également indispensable de prendre en compte l’imbrication des deux rapports sociaux que sont les rapports de sexe et les rapports de classe. Cette entrée permet de caractériser les modalités d’accès à la formation ouvrière et employée et, plus largement, à revisiter les hypothèses avancées quant à l’emprise et à la production des normes de genre en matière d’orientation scolaire et professionnelle. Cette invitation à penser les systèmes de domination comme imbriqués permet d’appréhender les processus qui sont au fondement des catégories. Elle est également une condition nécessaire pour analyser la conséquence, pour les filles et les garçons, de ces deux mouvements simultanés et contradictoires induits par l’injonction à se conformer aux normes de genre d’une part et à s’affranchir de la classe d’origine d’autre part. Car penser en termes d’imbrication permet d’avancer l’hypothèse que l’injonction à se conformer aux normes de genre a bien évidemment des implications importantes dans les manières de penser sa classe et de se penser dans la classe. De même que devoir s’affranchir des normes de sa classe d’origine induit nécessairement un repositionnement dans et par rapport à l’ordre de genre. Ce mouvement complexe ne peut qu’avoir des répercussions importantes sur les pratiques sociales et la capacité d’agir.

Notes

  • [1]
    La distinction entre « domaine des services » et tertiaire d’une part et au secteur industriel d’autre « domaine de la production » renvoie au secteur part.
  • [2]
    (Note de la p. 16.) La seconde est la sous-représentation des jeunes issu·e·s de l’immigration, dont l’immigration maghrébine et subsaharienne. En effet, tous niveaux de formation confondus, les jeunes ne représentent que 6 % de la population apprentie contre 11 % des scolaires (Enquête Génération, données 2007). Cette question abordée dans une étude précédente (P. Kergoat, 2010) est reprise actuellement dans le cadre d’une étude sur les lycées professionnels.
  • [3]
    (Note de la p. 17.) De 1984 à 2006, quatre conventions interministérielles sont signées comportant un volet relatif à l’orientation qui définissent les dispositifs d’intervention destinés à la diversification de l’orientation des filles.
  • [4]
    Je tiens ici à remercier trois chercheurs du Céreq Jean-Jacques Arrighi, Philippe Lemistre et Emmanuel Sulzer, ainsi que Gilles Moreau pour leurs conseils quant à la mise en forme des nomenclatures dont celle sur l’origine sociale des apprenti·e·s.
  • [5]
    À la fin des années 1990, le Céreq a mis en place un dispositif d’enquêtes original qui permet d’étudier l’accès à l’emploi des jeunes à l’issue de leur formation initiale. Tous les trois ans, une nouvelle enquête est réalisée auprès de jeunes qui ont en commun d’être sorti·e·s du système éducatif la même année, quel que soit le niveau ou le domaine de formation atteint, d’où la notion de « génération ». L’enquête permet de reconstituer les parcours des jeunes au cours de leurs trois premières années de vie active et d’analyser ces trajectoires au regard notamment du parcours scolaire et des diplômes obtenus.
  • [6]
    Dans l’objectif de saisir l’origine sociale des apprenti·e·s, la profession des deux parents a été prise en compte et regroupée en cinq catégories. Pour décrire les formations selon leur destination supposée en termes de champ professionnel visé dans le système productif, je mobilise la nomenclature des spécialités de formation (NSF).
  • [7]
    (Note de la p. 20.) L’apprentissage n’existe pas dans tous les cursus de formation. Dès lors, pour comparer les caractéristiques des jeunes inscrit·e·s dans un parcours scolaire ou universitaire à celles des jeunes apprenti·e·s, il est nécessaire de circonscrire le champ d’observation aux filières où l’apprentissage est présent. Pour éliminer les cas anecdotiques, je n’ai retenu que les croisements « classe » et « spécialité de formation » où les apprenti·e·s représentaient au moins 5 % des effectifs de sortants.
  • [8]
    En témoignent par exemple les deux manuels suivants : Christine Guionnet et Erik Neveu (2009) ; Laure Bereni et al. ([2008] 2012).
  • [9]
    Élèves et apprenti·e·s représentent pourtant 41 % des effectifs des jeunes scolarisé·e·s dans le secondaire (soit les trois années qui suivent la fin de la scolarité obligatoire). Cf. DEPP, Repères et références statistiques, 2012.
  • [10]
    Je pense en particulier aux travaux de Gilles Moreau, de Nadia Lamamra ou de Valérie Capdevielle-Mougnibas sur lesquels je serai amenée à revenir.
  • [11]
    Il suffit de trois groupes de spécialités : coiffure-esthétique, commerce et l’accueil (tourisme et hôtellerie) pour réunir six filles sur dix, alors qu’il faut six spécialités pour réunir autant de garçons.
  • [12]
    La distance entre apprenti·e·s préparant un diplôme du supérieur (niveaux III, II et I) et apprenti·e·s du secondaire (niveaux V et IV) n’est pas la résultante, d’une élimination différée des élèves en difficulté scolaire (tjuvrard, 1979), elle tient bien plutôt au fait que les apprenti·e·s du « haut » n’ont jamais été des apprenti·e·s du « bas ».
  • [13]
    Pourcentage d’apprenti·e·s qui avaient déjà signé un contrat d’apprentissage de niveau inférieur à celui obtenu au moment de l’enquête, base de données 2007 du Céreq. Pour une présentation de l’Enquête Génération du Céreq se référer à l’introduction (cf. dispositif méthodologique).
  • [14]
    Toutes les données sur l’insertion professionnelle des filles et des garçons – apprenti·e·s comme élèves de lycées professionnels – sont extraites de mon exploitation de la dernière Enquête Génération (interrogation 2007) du Céreq. (cf. dispositif méthodologique).
  • [15]
    Si nos données sur filles et garçons minoritaires en apprentissage ne sont pas représentatives, les tendances repérées sont confirmées par différentes études sur l’apprentissage, dont par des enquête, IPA et IVA (2009 et 2010) et par celle de la DEPP, 2011.
  • [16]
    Le même constat a été fait par Ugo Palheta (2012) à propos de l’enseignement professionnel.
  • [17]
    Certes, ce n’est pas une condition suffisante mais c’est cependant une condition nécessaire.
  • [18]
    À l’exception notable des travaux suisses, particulièrement de Christian Imdorf (2012) qui étudie les représentations des employeurs quant aux critères de sélection des apprenti·e·s.
  • [19]
    Se référer ici aux travaux de Danièle Kergoat réédités en 2012.
  • [20]
    La notion de compétence, en habillant des lieux communs anciens d’une apparence de modernité et de scientificité, contribue à entériner et à légitimer la différence sexuée des formations et des emplois (P. Kergoat, 2010).
  • [21]
    Sabine Fortino (2002) et Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod (2008) analysent des processus similaires.
  • [22]
    Comme nous l’avons indiqué en introduction, les rapports de race n’ont pas la place qu’ils devraient tenir dans le cadre de cet article. Sachant que les jeunes issu·e·s de l’immigration sont les grand·e·s absent·e·s de ce dispositif, leur sous-représentation ne permet ni d’opérer un traitement quantitatif ni non plus de généraliser les quelques observations de recrutement les concernant. Il me faut cependant souligner que les données en ma possession semblent indiquer que cette injonction, celle menant à devoir se conformer aux normes de genre, est encore plus contraignante pour les jeunes filles dont l’origine maghrébine est « imputée » ou « supposée », termes repris d’Emmanuelle Lada (2004). En effet, à écouter les recruteurs, « elles », dès lors opposées aux garçons d’origine maghrébine, ne poseraient pas de problème parce « qu’elles sont plus éduquées ». Tout un ensemble de discours et de stéréotypes renvoie à l’idée que ces jeunes filles auraient acquis par le biais de la socialisation familiale un apprentissage à la docilité, à l’ordre patriarcal et, par extension, à l’ordre productif. Représentations qui conduiraient à avantager, dans le recrutement, les filles d’origine maghrébine par rapport aux garçons de même origine. Tout en sachant que ces garçons font l’objet de violentes discriminations dans l’accès à la formation.
  • [23]
    C’est ce que démontre également Margaret Maruani (2004) à propos de la sexualisation des formes d’emploi.
Français

Les formations par apprentissage rassemblent un public essentiellement masculin, les apprenties étant, quant à elles, cantonnées dans quelques spécialités de formation et confrontées à de plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail. Pour donner sens à la position des filles dans l’espace des filières professionnelles, l’auteure propose tout d’abord d’imbriquer rapports sociaux de sexe et rapports sociaux de classe, pour ensuite désenclaver l’analyse de l’apprentissage de la seule référence à l’école. Ces deux conditions sont nécessaires pour appréhender les mécanismes qui concourent aux catégorisations opérées par la division sociale et sexuelle du travail, et à la production des normes de genre. Elles permettent de repérer deux mouvements simultanés et contradictoires induits par l’injonction à se conformer aux normes de genre d’une part et à s’affranchir des normes de la classe d’origine d’autre part.

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Prisca Kergoat
Prisca Kergoat est maîtresse de conférences en sociologie. Elle enseigne les études genre et s’intéresse à la formation professionnelle sous l’angle des rapports sociaux. Actuellement responsable d’une recherche sur Filles et garçons de lycées professionnels, elle a récemment coordonné, avec Valérie Capdevielle-Mougnibas, le N? 183 de la Revue française de pédagogie. Les formations par apprentissage (2013).
Université Toulouse 2, Laboratoire CERTOP (UMR 5044), 5, allée Machado, 31100 Toulouse, France.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/10/2014
https://doi.org/10.3917/nqf.331.0016
Pour citer cet article
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