Croiser sociologie des émotions et sociologie de l’alimentation : Quel(s) positionnement(s) épistémologique(s) adopter pour l’étude des comportements alimentaires ? - Université Toulouse - Jean Jaurès Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2021

Croiser sociologie des émotions et sociologie de l’alimentation : Quel(s) positionnement(s) épistémologique(s) adopter pour l’étude des comportements alimentaires ?

Résumé

Si de nombreux sociologues de l’alimentation soulignent la place des émotions dans les comportements alimentaires, peu de travaux analysent la construction sociale et culturelle des émotions relatives à l’alimentation. L’objectif de cette communication sera de débattre de l’angle épistémologique sous lequel il est intéressant de questionner les déterminants sociaux et culturels des émotions pour l’étude des comportements alimentaires. Du point de vue constructiviste ou culturaliste, les émotions relatives à l’alimentation sont en partie déterminées par des normes émotionnelles et représentations sociales intégrées au sein de groupes sociaux, au cours de la socialisation. Elles sont apprises par le corps comme des réflexes. Pour les cognitivistes, elles fournissent des informations sur la manière dont l’individu interprète une situation de prise alimentaire, ou sur les valeurs et représentations sociales qu’il attache à un aliment. Enfin, dans l’approche interactionniste, les émotions dépendent du contexte en cours. Nous défendons l’idée que pour l’étude des comportements alimentaires, les positionnements constructiviste, cognitiviste et interactionniste se complètent. Appliqué à l’alimentation, cela revient à considérer que les émotions du mangeur face à tel ou tel aliment sont en partie dépendantes de normes sociales, et du contexte en cours. Les goûts et dégoûts résultent de l’apprentissage de ces normes dès l’enfance (Le Breton, 1998). Les émotions relatives à l’alimentation sont donc des constructions sociales et culturelles, et le mangeur apprend à aimer certains aliments et à ne pas en aimer d’autres (Merdji, 2002 ; Dupuy, 2013). Toutefois, cette appréciation est réactualisée au cours des expériences, et selon le contexte en cours. Nous prenons ainsi le parti d’affirmer que les émotions sont forcément liées à une personne et à ses caractéristiques biologiques, psychologiques, sociales et culturelles, à un contexte et un objet. Dans un premier temps, on approfondira les effets des attributs socio-culturels des mangeurs. Chaque individu a été socialisé au sein de groupes aux caractéristiques précises, et a un parcours de vie différent. Comment les caractéristiques socio-culturelles du mangeur influencent-elles ce qu’il ressent vis à vis d’une catégorie d’aliment ? Revendiquer les aliments sur lesquels on ressent du plaisir, ou du dégoût, c’est communiquer des valeurs et marquer son identité sociale et culturelle, son appartenance à un groupe. Bourdieu (1979) évoquait déjà le goût de nécessité des classes populaires et le goût de liberté des classes aisées. Pour lui, les classes populaires trouvent leur plaisir dans la satisfaction de besoins nutritionnels nécessaires, là où les classes aisées le trouvent leurs plaisirs dans des fantaisies non nécessaires à leur survie. Régnier et Masullo (2009) montrent que les classes aisées ont dorénavant ce « goût de nécessité », en trouvant leur plaisir dans le suivi des impératifs diététiques, alors que classes plus populaires ont plutôt le « goût de liberté », et rejettent ces normes en réaction à la moralisation et à l’intrusion dans la sphère privée et domestique. Ainsi, aujourd’hui, dans les catégories aisées, les individus ont du goût pour ce qu’ils considèrent être bon pour la santé (Régnier et Masullo, 2009), et bien nourrir son enfant c’est lui apprendre à prendre plaisir à avoir une alimentation conforme aux recommandations (Régnier et Masullo, 2009). Dans une perspective interactionniste, on s’intéressera ensuite aux effets de contexte sur les émotions. Nous définissons le contexte par au moins trois grandes familles de paramètres : la situation en cours (le lieu, le moment, et les interactions sociales), les paramètres physiques (météo, luminosité…) et les paramètres relatifs à l’état biologique et psychologique de la personne au moment de la prise alimentaire. Comment les changements de contexte influencent-ils l’émotion, pour une même personne et face à une même catégorie d’aliment ? En prenant à nouveau l’exemple du plaisir alimentaire, on montrera que ce celui-ci n’est plus le même, voire n’est plus, lorsqu’un des éléments de la situation varie. Le plaisir alimentaire dépend directement de la temporalité, de l’espace, des interactions sociales en cours. Chacune de ces variables est porteuse de sens pour l’individu. C’est l’association de ces éléments qui génère un plaisir, perçu comme significatif, spécifique et unique par le mangeur. L’approche sociologique des émotions présente un intérêt indéniable pour l’étude des comportements alimentaires : elle permet à la fois de questionner le rapport à l’alimentation au niveau individuel, en considérant que l’émotion est révélatrice du rapport de l’individu à un objet, et des représentations sociales et valeurs qu’il y attache ; ainsi qu’au niveau collectif, où l’on cherche à comprendre ce qui est en jeu au niveau du groupe : les interactions, les enjeux identitaires, les mécanismes du partage social des émotions, et ce que ces univers émotionnels partagés peuvent révéler de notre société. Références : BOURDIEU P., 1979 - La Distinction. Critique sociale du jugement, éditions de Minuit, 672 p. DUPUY A., 2013 - Plaisirs alimentaires, Socialisation des enfants et des adolescents, Collection « Tables des hommes », Presses universitaires de Rennes, Presses universitaires François-Rabelais de Tours, 512 p. LE BRETON D., 1998 – Les passions ordinaires. Anthropologie des émotions. Payot & Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, Paris. MERDJI M., 2002 – L’imaginaire du dégoût : une approche anthropologique de l’univers émotionnel de l’alimentation. Thèse de doctorat en sciences de gestion. Université Paris IX Dauphine. Soutenue le 18 juin 2002. 568 p. REGNIER, F, MASULLO A., 2009 - « Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d'alimentation et appartenance sociale », Revue française de sociologie, n°4, Vol. 50, 747-773.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03616274 , version 1 (22-03-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03616274 , version 1

Citer

Thiron Sophie. Croiser sociologie des émotions et sociologie de l’alimentation : Quel(s) positionnement(s) épistémologique(s) adopter pour l’étude des comportements alimentaires ?. Université franco-allemande « Une anthropologie des émotions. Questions d’épistémologie », Oct 2021, Bayonne, France. ⟨hal-03616274⟩
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