Claudius et l’hamartia diplomatique du tyran dans Hamlet
Résumé
En replaçant Hamlet Shakespeare dans son contexte diplomatique théorique et pratique, ce chapitre propose ainsi d’étudier un aspect laissé de côté : la pièce comme miroir critique d’une diplomatie moderne confrontée aux poussées tyranniques dont l’expression nourrit et se nourrit d’une réforme de la tragédie de la vengeance. La canalisation de la violence par la diplomatie dans la pièce ajoute aux débats traditionnels de la tragédie de la vengeance, celui sur la bonne gouvernance sur les plans local et international. Hamlet s’écrit au même moment qu’Henry V, pièce hautement diplomatique qui montre comment les impulsions tyranniques limitent l’art de la négociation . Elle souligne en particulier le danger du traitement de l’ambassadeur comme simple lettre vivante au lieu d’en solliciter l’analyse et, à son tour, de la prolonger. Hamlet semble reproduire cette critique en la mettant clairement au centre de l’action tragique dont elle constitue en partie l’hamartia de l’antagoniste. Dans L’Ambassadeur, traité de diplomatie publié en 1603 en français puis six mois plus tard en anglais, Jean Hotman, dans la lignée de Machiavel, parle du « sage ambassadeur donnant autre conseil et adresse » (1603) . Hamlet montre que la surdité et l’aveuglement des princes quant au contenu d’une dépêche ou d’une relation allant dans le sens de leur plaisir (comme lors de l’ambassade norvégienne) est une limite à la ruse diplomatique de Claudius.La critique diplomatique et politique occasionnée par l’intégration de l’ambassade dans l’action de vengeance nous conduira enfin à réévaluer la nouvelle diplomatie pratiquée par Claudius. Les analyses récentes de la diplomatie de Claudius se concentrent sur le miroir d’une nouvelle diplomatie contribuant à la formation de l’État . Elles semblent toutefois ignorer la tyrannie d’usurpation de Claudius et le contexte monarchomaque dans lequel Shakespeare écrit la pièce . Si la diplomatie claudienne représente une nouvelle diplomatie au service de l’État, il faut aussi considérer la manipulation du concept de reconnaissance de souveraineté mis au service de l’hubris tyrannique de l’usurpateur.